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« Traditions contemporaines ? » Par François Rossé

 

 

Musique contemporaine ou engagements contemporains sur la musique ? Question très pertinente aujourd’hui dans un monde où les axiomes politiques, économiques et sociaux et donc artistiques évoluent de manière considérable. Les questions soulevées durant le XXème siècle dans le domaine des musiques dites « contemporaines » ont été très importantes au niveau de la prise de conscience des autres cultures de la planète et des potentialités de la matière acoustique redécouverte. Certaines images habituelles parfois très fixées dans un concept historique immobile concernant notamment les musiques contemporaines et les musiques traditionnelles méritent une sérieuse réactualisation en liaison avec la dynamique de notre environnement social et artistique actuel.

« Tradition » ou « Contemporain » ? Il semble que les musiques ciblées comme « contemporaines » ont toutes une mémoire, des références historiques et géographiques. Elles ont toutes une tradition en somme. Réciproquement la « tradition » n’a de sens que dans un mouvement, nécessité biologique de survie. Toute chose fixée se flétrit et meurt par inadaptation fonctionnelle, ces lois sont celles des mécanismes physiques de la vie, mais aussi applicables dans les dimensions culturelles. La mémoire est une ressource nécessaire, terreau fertilisable à condition que ce terreau soit réactivé en permanence. Cette question est donc bien activement liée à l’environnement contemporain d’aujourd’hui qui peut faire rejoindre en un seul lieu ce qui est habituellement séparé, les espaces intitulés « musique contemporaine » et « musique traditionnelle ». Face aux actuelles confrontations culturelles très actives sur tous les plans de l’activité humaine planétaire, il me paraît inadapté de maintenir de tels espaces hermétiques. Cela pose, pour la jeune génération de compositeurs et d’interprètes, la lourde question de l’exclusivité de l’écriture comme medium de transmission pas vraiment adapté, dans certains cas, aux mouvements artistiques d’aujourd’hui, rejoignant en quelque sorte de plus près notre propre tradition européenne perdue à l’époque baroque où l’équilibre entre oralité et écriture était encore bien présent. L’écriture est un magnifique outil, son exclusivité a été une aberration pédagogique dont nos conservatoires prennent peu à peu conscience.

Sans devoir être exclusif, certaines rencontres, manifestations ou festivals semblent porter en eux une démarche en liaison avec les questions particulièrement contemporaines. Si certes, des festivals très spécialisés de « musique contemporaine » ou de « jazz » ou de « musique traditionnelle » peuvent avoir leurs raisons d’exister à condition que la sève puisse y monter encore pour ne pas déchoir dans le simple « exercice de style » plus ou moins virtuose ou être une sorte de « musée de la contemporaine traditionnelle », les énergies actuelles me font tout de même préférer les lieux où le métissage est activé artistiquement voire physiquement. Si la nature, dans la sexualisation des espèces, nous invite au métissage permanent c’est bien pour éviter les conséquences liées aux consanguinités... Cette remarque semble valable, aussi, sur le plan culturel et relève d’une dimension éthique. Invité cette année aux Joutes Musicales à Correns, outre la somptueuse ambiance à la fois festive et très fine, j’ai pu assister et être moi-même impliqué à la naissance de rencontres improbables il n’y a que deux décennies. La tradition, ici, est donc bien contemporaine en ce que mon geste contemporain puisse s’inclure dans un mouvement activé par les rencontres (comment expliquer sinon les différents styles, italien français, anglais chez Bach qui n’a jamais quitté le territoire germanique) ? La tradition contemporaine relève donc bien plus de l’éthique que de l’esthétique et cela s’imposera inévitablement dans les périodes à venir. Cela interrogera aussi le geste du compositeur traditionnel comme celui du musicien contemporain se nommant héritier d’une tradition. Les questions d’identité sont soulevées de manière pertinente et ce sont bien des cultures fortes qui peuvent s’ouvrir efficacement aux autres propositions et s’opposer ainsi à la soupe « mondialiste » qui est une démarche bien plus lucrative qu’artistique. En envahissant les médias le danger est grandissant à ce niveau et c’est aussi en ce sens qu’il me paraît urgent de soutenir les lieux ou ces réflexions sont activées de manière intense et pertinente et cela touche inévitablement une responsabilité et un choix motivé d’ordre politique. D’autres grandes manifestations, tels les « Suds » à Arles ou les 38èmes Rugissants à Grenoble et bien d’autres lieux semblent bien plus en phase avec l’actualité que « l’occidentalisme » assez exclusif de certains festivals de musique contemporaine bien soutenus dans leur état permanent. D’un siècle précédent où se confrontaient les esthétiques, ce sont à présent des dimensions d’ordre éthique qui seront le mât des attitudes actuelles et à venir. Les réponses artistiques à donner sont très variables, mais les questions soulevées se doivent d’être les plus pertinentes et je préfère de loin les lieux où se posent de telles questions. L’humain peut s’épanouir au travers des élans artistiques à la condition que ceux-ci s’inscrivent dans une totale dimension humaine, c’est probablement notre limite d’existence terrienne.

François Rossé
Chevalier des Arts et des Lettre

 

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